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gilets jaunes - Page 11

  • Les gilets jaunes au cœur de la guerre médiatique...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Didier Beauregard, cueilli sur Polémia et consacré à l'importance désormais décisive du champ de bataille médiatique dans la lutte politique, comme l'a bien illustrée la révolte des Gilets jaunes.

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    Les gilets jaunes au cœur de la guerre médiatique

    L’espace médiatique est désormais le lieu quasi unique où se joue le combat politique. C’est à partir de cette réalité, que le mouvement des gilets jaunes a bien mis en évidence, qu’il faut penser toute stratégie de confrontation politique. L’enjeu en est claire ; la conquête de l’opinion publique, qui fait la différence entre victoire et défaite, se joue à travers les médias et ouvre la voie à toutes formes de manipulation pour emporter la bataille des esprits.

    Les gilets jaunes  ont d’emblée  assumé la radicalité de leur révolte en plaçant le gouvernement en situation d’accusé sur des thèmes  très concrets comme le prix des carburants  et le pouvoir d’achat. Ils n’ont, en revanche, pas su déployer une stratégie de riposte à la hauteur des manœuvres dilatoires du pouvoir en place, construites, nous l’avons vu, sur quatre piliers : minimiser, diaboliser, diviser, isoler. C’est sur cette stratégie du contre que doit  porter aujourd’hui l’essentiel de la réflexion.

    1000 et 1 façons médiatiques  de neutraliser l’ennemi

    Cette stratégie, qui ne peut être qu’offensive dans la forme, doit poser comme principe de base que les médias sont le cœur du combat politique et, qu’en conséquence, les journalistes sont, non seulement, des acteurs engagés et non des observateurs neutres, mais ils sont mêmes les principaux acteurs du jeu politique face aux citoyens. Ils sont les premiers acteurs avec lesquels les dissidents qui ont accès à l’espace médiatique doivent se confronter.

    Dans le cas des gilets jaunes, la stratégie d’enlisement médiatique, pour l’essentiel, a consisté à minimiser l’ampleur du mouvement, en reprenant sans aucun recul les chiffres du ministère de l’Intérieur, et a extrémiser l’image des contestataires en focalisant l’information sur les violences. Il aura fallu plusieurs semaines, plus de deux mois, pour que les gilets jaunes finissent enfin par reprendre la main sur le sujet des violences en mettant en avant le nombre impressionnant de blessés dans les rangs des manifestants, et la gravité des blessures subies. Le débat national sur les LBD a, en quelque sorte, couronné le succès médiatique de cette contre offensive tardive. Si les médias ont été contraints de traiter le sujet, il n’en reste pas moins vrai que l’équilibre en termes d’images est loin d’être respecté. Les actes violents issus des manifestants sont passés en boucle de manière quasi hypnotique (exemple : l’épisode du boxeur), alors que les images des violences policières et leurs résultats sur les victimes sont présentés avec une grande retenue.

    Il y a tout un art journalistique de mettre en avant une objectivité de façade – les choses ont été effectivement dites et montrées- tout en déséquilibrant systématiquement l’information par l’inégalité de ses traitements. Il est fréquent de voir, quand un représentant des gilets jaune s’exprime, des images de destruction, voitures en flamme ou autres, accompagner son propos.

    Quant à la controverse sur les chiffres, elle n’a pas été arbitrée, et ceux annoncés par le pouvoir, massivement relayés par les médias, ont finit par s’imposer, contre toute logique, comme la seule réalité perçue. Les médias n’ont jamais mené le moindre travail critique sur les chiffres fantaisistes du gouvernement. On pourrait également analyser en détail la subtile utilisation des titres éditoriaux pour orienter la vision du citoyen, type la déclaration interrogative qui impose une réalité sans pour autant la revendiquer, comme, semaine après semaine, l’affirmation : « Le mouvement s’essouffle ? » Tout est dans le point d’interrogation ! On peut aussi utiliser la formulation directe : « La mobilisation en baisse »; on pourrait, à contrario, tout aussi bien affirmer: « La mobilisation se poursuit », ou « la contestation toujours vigoureuse », c’est juste une question de choix éditorial.

    Reductio ad hitlerum

    Enfin le processus de l’offensive anti gilets jaunes a atteint son point culminant avec la grande campagne sur le retour de l’antisémitisme et ses liens avec le mouvement de contestation populaire ; on peut d’ailleurs toujours mettre un point d’interrogation sur le sujet, mais le seul fait d’accoler les deux éléments constitue déjà une accusation. Une offensive particulièrement vicieuse qui consiste à laisser entendre, que, certes, tous les gilets jaunes ne sont pas antisémites, mais que le mouvement porte en lui- même le virus de l’antisémitisme, puisque d’essence populiste et, donc, d’extrême droite : cqfd, voilà le retour de la bête immonde !

    Un système accusatoire grossier qui a probablement nui à la mobilisation contre l’antisémitisme. Il est tout de même énorme d’exhiber un activiste salafiste comme preuve d’un retour en force d’un antisémitisme d’extrême droite, faute d’avoir le moindre crane rasé à se mettre sous la dent, comme dans les belles années 80 de « l’antiracisme » triomphant. Gêné par cet obscène détournement de sens, Alain Finkielkraut a lui-même dénoncé avec vigueur cette inversion du réel.

    Questionner les questionneurs

    Cette centralité du rôle des médias dans le rapport de force politique a finalement été prise en compte par les gilets jaunes. Pour la première fois, un mouvement social a clairement identifié la sphère médiatique comme un acteur déterminant et hostile. Un pas que la Manif pour tous n’avait jamais osé franchir. Toutefois, si les manifestants ont exprimé, parfois de manière rugueuse, leur ressentiment à l’égard des journalistes, leurs représentants, sur les plateaux télés, se sont montrés très largement conciliants et, souvent même, désarmés et naïfs face aux partis pris journalistiques. Ils n’ont pas acté la non neutralité du discours médiatique pour se donner le droit, en direct, de questionner eux-mêmes, le questionnement des journalistes.

    Or, une fois que l’on a admis le principe, évoqué plus haut, que les journalistes sont bien les principaux acteurs du débat politique et qu’ils représentent la première force du système dominant dans son interaction avec la masse, il est alors logique et évident de les considérer d’abord comme des opposants contradicteurs et non plus comme de simples poseurs de questions et présentateurs de faits. Ils sont la digue ultime qui permet de contenir la vague de la contestation. Ils doivent être perçus et traités comme tel. Cette attitude est, en quelque sorte, un hommage rendu aux médias par l’objectivation de leur importance sociale. Il n’est pas question d’agresser les journalistes mais d’engager un débat frontal sur leurs non-dits idéologiques et les formes orientées de l’information, afin de les bousculer dans leur posture trop facile de neutralité objective, extérieure aux jeux de la dominance. C’est un travail minutieux et systématique sur le traitement de l’information, où la forme, bien souvent, en dit tout autant que le fond.

    Un Grand débat, oui, mais à la télévision !

    Mais, plus fondamentalement, la reconnaissance de la centralité des médias dans le combat politique doit conduire à une attitude proactive à leur égard. Il ne s’agit plus seulement de répondre à leurs invitations pour défendre et promouvoir ses idées, mais aussi de les intégrer dans une vision stratégique globale afin d’en tirer le maximum de gain dans l’opinion en fonction du contexte politique. Dans le contexte actuel, les gilets jaunes auraient du faire de la télévision la première arme d’une stratégie en contre face au rouleau compresseur du pouvoir.

    Puisque les chaines de télévision, grâce à la puissance émotionnelle des images, sont d’abord le lieu où se joue la bataille de l’opinion publique et où les Français s’informent en priorité, les gilets jaunes auraient pu retourner à leur avantage la manœuvre gouvernementale qui consiste à enliser leur mouvement de révolte dans les méandres d’un Grand débat national dont les thèmes sont fixés par le pouvoir et les finalités des plus obscures. Il fallait pour cela prendre le pouvoir à son propre piège: le Grand débat, oui, mais en nous impliquant nous, les gilets jaunes, dans la définition des modalités de ce débat. Le propos est simple, logique et imparable en termes de légitimité démocratique ; on ne peut prétendre ouvrir un dialogue pacificateur en refusant d’emblée à son interlocuteur le droit d’exprimer ses attentes les plus élémentaires.

    Or, d’évidence le seul espace légitime pour un vrai débat, ouvert, équitable et accessible à tous, est bien la télévision, capable de réunir, dans un même moment, des millions de citoyens spectateurs pour partager un événement commun. La télévision publique, par la même occasion, pourrait jouer enfin le rôle de média citoyen qui devrait être le sien ; à l’écoute et au service de tous les Français.

    Après tout, ce que l’on reconnait comme une évidence pour l’événement culminant de la vie politique et qui s’est imposé comme un rite républicain, le débat présidentiel des candidats, devrait s’imposer tout aussi logiquement dans le cadre d’un Grand débat national qui prétend toucher tous les citoyens. Toute personne qui refuserait cette demande se mettrait en porte à faux au regard de la simple cohérence démocratique.

    Un one man show de télévangéliste

    Ainsi, au lieu d’assister au scénario hallucinant d’un président déconsidéré se livrant à un one man show de télé évangéliste pour épater la galerie et redresser sa cote, nous aurions pu, pour une fois sur nos écrans, avoir de vrais débats, sur des sujets clivants, avec de vraies oppositions exprimées par de véritables opposants qui représentent bien la masse des Français dans leur diversité. Il faut réclamer, comme condition préalable à l’exercice, une codécision sur le choix des thèmes et des intervenants. Il ne devrait plus être possible d’assister à la litanie des pseudo-débats qui encombrent nos médias, où le consensus de la bien pensance fait régner l’ordre dominant.

    Exiger la diversité politique dans les médias publics

    Sous la tutelle de sa très « progressiste » présidente, la télévision publique se veut le modèle de la diversité normalisée, tournée vers les femmes, les jeunes et les minorités dites visibles. Prenons donc Mme Ernotte et le pouvoir qu’elle représente au mot : la diversité, chiche ! mais à commencer par la première des diversités dans une démocratie, celle des opinions et des sensibilités politiques. Il est tout à fait aberrant de voir qu’à chaque sondage effectué dans les rédactions en période électorale majeure, la grande masse des journalistes affirme voter pour un candidat de gauche, alors que la majorité des Français se situe à droite. Cette déconnexion entre la réalité du pays et ceux qui sont en charge de la commenter représente un dangereux déni démocratique. Il est clair, aujourd’hui, qu’il ne peut y avoir de renouveau de la démocratie en France,- ce que réclame avant tout les gilets jaunes- sans un questionnement en profondeur du rôle des médias et de leur fonctionnement.

    Les médias publics, au moins, devraient représenter, peu ou prou, le spectre des principales familles idéologiques du pays. Voilà une revendication immédiate, concrète et pertinente pour les gilets jaunes; réclamer un minimum de diversité politique à l’intérieur du service public de l’information ! Ce dernier, du coup, deviendrait le phare citoyen du paysage audio-visuel et de la vie publique qu’il aurait toujours du être, et les autres médias se verraient, en toute logique, contraints de suivre son exemple pour ne pas perdre leur clientèle. Voilà comment, tout simplement, élargir l’espace de la démocratie dans notre pays ! Qui peut vraiment être contre ?

    Didier Beauregard (Polémia, 13 mars 2019)

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  • Feu sur la désinformation... (226)

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un nouveau numéro de l'émission I-Média sur TV libertés, consacrée au décryptage des médias et dirigée par Jean-Yves Le Gallou, président de la fondation Polémia, avec le concours de Nicolas Faure.

    Au sommaire :

    • 1 : Révolte algérienne ou Gilets Jaunes, les médias ont choisi
      Le soulèvement populaire algérien a été salué par de nombreux médias et journalistes qui semblent bien plus circonspects quand il s’agit des Gilets Jaunes.
    • 2 : Le Zapping d’I-Média 
      David Pujadas découvre ébahi avec le dernier ouvrage de Jérôme Fourquet que le peuple français est en train d’être modifié en profondeur par l’immigration extra-européenne massive.

    • 3: Siège à l’ONU : les médias ridiculisés
      Au moment de la signature du traité d’Aix-Le-Chapelle, certains responsables politiques exprimaient leurs craintes de voir la France bientôt céder à l’UE son siège à l’ONU.
      Les médias avaient hurlé à la « fake news ». Aujourd’hui, le débat est relancé.
    • 4 : Les tweets de la semaine
      Selon une majorité de Français, les médias sont des outils de propagande. Un résultat étonnant quand on sait avec quelle impartialité et avec quel sérieux les médias traitent l’information.
    • 5 : Racisme. Les médias menés à la baguette
      Une boulangère africaine de Levallois Perret en grave difficultés financières a affirmé avoir été victime de propos racistes. Des propos relayés par une association communautaire violente et par des médias qui ont oublié toute déontologie.

     

     

                                          

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  • Pour en finir avec le peuple...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François-Bernard Huyghe, cueilli sur Huyghe.fr et consacré à la stratégie d'étouffement de la révolte populaire des Gilets jaunes retenue par le pouvoir.

    Spécialiste de la guerre de l'information, François-Bernard Huyghe enseigne à la Sorbonne et est l'auteur de nombreux essais sur le sujet, dont, récemment, La désinformation - Les armes du faux (Armand Colin, 2015) et Fake news - La grande peur (VA Press, 2018). Avec Xavier Desmaison et Damien Liccia, François-Bernard Huyghe vient de publier Dans la tête des Gilets jaunes (VA Press, 2019).

     

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    Pour en finir avec le peuple

    La stratégie macronienne ou, disons, « progressiste » au sens que les élites donnent à ce mot, vis-à-vis des couches populaires est assez simple.

    Depuis le début de l’affaire des Gilets jaunes s’est posée la question des périphériques : ouvriers, artisans, petits patrons, retraités, unis par un même sentiment d’être relégués. Furieux d’être prélevés par l’État providence tout en perdant des services publics, éloignés des flux économiques, sociaux et culturels de la France « ouverte » d’en haut, réduits au statut des sans espoirs (ni leur situation, ni celle de leurs enfants ne s’améliorera) ils se sont révoltés hors des schémas politiques connus. Hors des villes, hors des syndicats, hors des divisions droite-gauche, hors norme, hors d’atteinte des médias traditionnels, hors lois du genre, en tout cas.

    Que faire ? Réprimer et en éborgner quelques uns ? Faire peur (ce qui accessoirement ramène vers vous la droite ennemie du désordre et des couches dangereuses) ? Proposer un grand débat qui va surtout servir à opposer les gentils qui vont discuter comme dans un séminaire d’entreprise et les méchants qui vont aux manifestations et seront complices du pire ?

    Mais la stratégie macroniste fait mieux à partir de trois catégories simples

     »Fasciser le peuple. Il y a de multiples façons de poser l’équation foules égale foules haineuses, égale bête immonde. Peuple égale populiste. Manifestant égale factieux. Populo égale facho.
    - On recherche des traces d’une infiltration d’extrême-droite (quite à inventer des « drapeaux d’ultra-droite »),
    - On trouve des incident homophobes ou racistes sur les ronds-points,
    - On explique que la peste brune va remonter les Champs-Élysées, puis que manifester illégalement c’est attenter aux valeurs de la République donc a) être responsable de toutes les violences et surtout celle que l’on subit 2) être factieux et subversif, donc un ennemi autoritaire de la démocratie
    - On cherche les déclarations les plus délirantes des leaders auto-proclamés les plus excités pour faire l’amalgame avec Dieudonné, le général Boulanger, Salvini
    - Et on gagne le jackpot en tirant la carte antisémitisme : quatre ou cinq salafistes injurient Finkielkraut (plutôt favorable aux Gilets jaunes)et voici que chaque manifestant en acte, en pensée ou en intention est accusé de ne pas s’être désolidarisé assez bruyamment de cette anti-France, donc ne pas la dénoncer assez, donc de l’excuser peut-être, donc d’en être un peu complice, donc d’être animé par une haine antisémite potentielle, donc... reductio ad hitlerum suit.

    Infantiliser le peuple. Regardez : ces gens agissent par ressentiment, parce qu’ils ne comprennent rien aux réalités économiques et géopolitiques, ils sont furieux de leur propre médiocrité, ils ne savent même pas quelles sont leurs propres revendications, c’est n’importe quoi. Et les chefs, vous avez vu les chefs ! En plus ils leurs coupent eux-mêmes la tête ! Démocratie directe et pourquoi pas Noël toutes les semaines ! Des enfants vous dis-je. Et des enfants jaloux : notre président trop beau, trop intelligent, trop moderne leur renvoie une image inversée de leur propre débilité, alors ils sont dans la colère, ces gamins ringards !

    Médicaliser le peuple. Au fond ces gens souffrent de maux imaginaires. Ils sont victimes des théories complotistes. Ils sont noyés de fake news sur les réseaux sociaux (il va d’ailleurs sérieusement demander à nos amis des GAFA de ne plus laisser circuler ces poisons pour l’esprit). Et d’ailleurs ne sont ils pas atteint par des virus mentaux, ceux de la désinformation : les russes, la fachosphère, la mélanchonosphère ? Un beau cas d’intoxication en fait.

    Ce dernier point, la réduction d’une catégorie politique à une métaphore médicale, a un énorme avantage : il permet de ne pas penser l’adversaire, ou du moins celui qui vous critique, comme un opposant politique, qui a des intérêts, des valeurs et des revendications qui diffèrent des vôtre. Il ne peut être qu’atteint en tant qu’individu (et non comme sujet politique-, par une contagion que ce soit celle du faux ou celle de la haine.Tout est affaire de psychologie et de fantasmes, vous dis-je.

    La stratégie de Macron peut se résumer dans l’idée de dépolitiser la révolte en la réduisant à des pensées à exclure (antisémitisme, discours de haine, antirépublicanisme) et à des affects à soigner. Pour combien de temps ?
     
     
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  • 1968, 2018, pourquoi c'est différent...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un point de vue de Michel Drac dans lequel il établit les profondes différences qui existent entre Mai 68 et la révolte des Gilets jaunes de 2018...

    Penseur non-conformiste, Michel Drac est l'auteur de plusieurs essais, dont  Triangulation - Repères pour des temps incertains (Le Retour aux Sources, 2015) ou, dernièrement, Voir Macron - 8 scénarios pour un quinquennat (Le Retour aux Sources, 2018).  Il est également le fondateur des éditions le Retour aux Sources, qui publient notamment Piero San Giorgio , Dmitry Orlov ou Howard Kunstler.

     

                                        

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  • Sortir de la crise des Gilets jaunes par le bas ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hélène Strohl, cueilli sur le Courrier des stratèges et consacré à la question de l'issue de la révolte des Gilets jaunes. Ancienne inspectrice générale des affaires sociales, Hélène Strohl a publié avec le sociologue Michel Maffesoli plusieurs ouvrages dont Les nouveaux bien pensants (Moment, 2014).

     

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    Pourquoi il faut sortir de la crise des Gilets Jaunes par le bas

    Il y a quelqu’hypocrisie dans le chœur des « Bien-pensants » qui pleurent « l’absence d’organisation », le « manque de débouchés », voire la perversion d’un mouvement qu’on peine à discréditer dans l’opinion publique à coups d’accusations de violence, de barbarie et maintenant d’antisémitisme.

    L’opinion publiée, nos bien-pensants imaginaient (attendaient) au début des rassemblements sur les ronds-points que ces « bof », buveurs de bières et chantres de la voiture déversent un tombereau de slogans xénophobes, homophobes, racistes.

    Il n’en a rien été.

    Ces mêmes commentateurs parlent avec nostalgie d’une fraternité disparue, mais  ils ont été incapables de la percevoir dans les premiers mouvements, tout occupés qu’ils étaient à faire l’inventaire (souvent ironique) des revendications des gilets jaunes et à pointer leurs incohérences.

    On a tenté d’exploiter les sursauts et les chaos inévitables de toute manifestation sur la voie publique, de tout rassemblement non canalisé par les codes partisans ou syndicaux dans un jeu de concurrence victimaire : gilets jaunes contre commerçants des centres villes ; gilets jaunes contre policiers ; gilets jaunes contre journalistes, contre élus du peuple etc. et maintenant gilets jaunes contre Juifs.

    On est dans le temps des invectives, des réactions hystériques, des diverses expressions de haine. C’est à cette « fin de mouvement » que je voudrais réfléchir.

    Les invariants de la fin

    Qu’il s’agisse des grandes grèves avec occupation des usines de 1936, de la fin des occupations d’universités et d’usines de Mai 68, ou maintenant de la fin des rassemblements sur les ronds-points des Gilets jaunes, une fin de mouvement se déroule selon quelques grands invariants :

    –          ce qu’on appelle le « pourrissement » du mouvement, ses dérives violentes, ses fractionnements et ses conflits internes ;

    –          une dépression collective corollaire  du reniement et du délitement des liens amicaux noués dans le rassemblement ;

    –          une perte du sens du « collectif » : les petits chefs tentent de réescompter leur célébrité naissante comme l’ont fait nombre de leaders de l’UNEF reconvertis très vite après 1986 en militants socialistes ou en candidats sur diverses listes aux élections électorales ; les syndicalistes et autres politiques abandonnent leur militantisme et leur espérance ; d’autres se lancent frénétiquement dans diverses luttes, ainsi des Zadistes ou autres squatters. Et puis beaucoup rentrent chez eux, tristes sans doute, certains tentant de continuer les échanges et les rencontres, d’autres s’isolant en famille.

    –          Des commentaires compassionnels des grandes voix de la bienpensance : qui expliquent ce qu’il aurait fallu faire et ne pas faire. Soulagées quand même que le boulet les ait épargnés cette fois encore !

    Il faut néanmoins se garder de se croire trop vite « tiré d’affaire », de penser qu’encore une fois notre « système démocratique », nos valeurs républicaines ont résisté à la vague.

    Car ces rassemblements populaires, combatifs ou festifs (ou les deux parfois) ne se clôturent pas sans répercussions proches ou plus lointaines.

    Quelques exemples historiques,  14-18, 1936, 1968 :

    –  la fin de la Guerre de 1914 – 18.

    L’arrêt des combats a certes été un soulagement pour les rescapés, civils et soldats. Mais la « démobilisation » n’a pas été sans conséquences.  Ce processus de retour dans leurs foyers d’hommes qui avaient passé qui des mois, qui des années serrés autour d’un feu et communiant dans la peur et la tristesse, le courage et l’acceptation de la mort n’était pas simple. Diverses formes rituelles : constructions de monuments aux morts, cérémonies du souvenir, et surtout multiples associations d’anciens combattants ont pu l’accompagner. Mais en Allemagne, le rituel de « fête de la Victoire » ne pouvant rassembler les troupes mobilisées et les populations affamées, ce sont de multiples mouvements révolutionnaires qui ont émergé : on connaît celui des Spartakistes et de Rosa Luxemburg, mais moins tous les mouvements conseillistes qui ont suivi jusqu’en 1924.  Ceux-ci étaient des sortes de rassemblements de soldats, d’ouvriers et ouvrières, du peuple réclamant non pas une constitution démocratique, ni même la démission de l’Empereur, mais la démocratie directe. Ces mouvements opposés à tout parti, tout syndicat s’appelaient  « unions de travailleurs » et ils n’avaient d’autre revendication que celle du refus de la démocratie représentative, de l’exigence du mandat impératif, de la discussion par tous de toutes les décisions.  Et puis tous ces mouvements révolutionnaires se sont effilochés, parfois dans le sang, parfois dans les combats avec l’extrême droite (les corps francs engagés contre l’URSS), parfois dans les combats avec la police de la nouvelle république de Weimar. Laissant subsister dans le peuple un profond sentiment de trahison. L’un des leaders de ces mouvements, Otto Rühle disait en conclusion de son livre écrit en 1924 : « Maintenant le peuple allemand qui s’est senti trahi par ses chefs (il visait Ebert et Noske, Lénine et Radeck) va se tourner vers des leaders comme Rudolf Steiner ou Adolf Hitler » [1].

    – 1936

    La fin des grandes grèves de 1936 a été mieux maîtrisée par le pouvoir, l’abaissement de la durée de travail et l’instauration pour la première fois de congés payés pour les salariés, mesures concrètes changeant immédiatement le quotidien,  ont sans aucun doute permis une sortie heureuse du mouvement, une grève bien terminée. Ce n’est pas pour rien que l’on retient cette phrase un peu cynique de Maurice Thorez : « il faut savoir terminer une grève ».

    Par manque de connaissances je ne fais qu’évoquer les mouvements insurrectionnels est-allemands, tchèques, polonais : toujours il s’agissait de se rassembler et de parler ; toujours le pouvoir en place avait pour but de brider la parole et d’interdire les rassemblements. L’usage de chars  est de triste mémoire, ce qui aurait dû alerter sur le danger à utiliser des « engins blindés » pour juguler les manifestations.

    – Mai 68

    Je me souviens de Juin 68, quand les étudiants erraient désemparés dans l’aula du Palais universitaire de Strasbourg. Après avoir déclaré l’autonomie de l’université, avoir tenté d’organiser un « conseil étudiant », s’être gentiment bagarrés contre les Gaullistes historiques, avoir repoussé les examens à une rentrée qui semblait lointaine, on n’allait pas rentrer chez soi, comme si de rien n’était ? Bien sûr les militants politiques, les divers membres de partis et groupuscules gauchistes se préparaient à partir dans leurs « universités d’été ». Mais ils n’étaient pas nombreux les léninistes et les trotskystes dans cette ville marquée par les situationnistes. Dans le Palais universitaire désoccupé, quelques rengaines nostalgiques s’échappaient parfois du piano pendant que de petits groupes tentaient d’organiser la suite : c’est là que s’initièrent comme à Berlin, Heidelberg et dans d’autres villes germaniques les « Wohngemeinschaften, communautés d’habitat », les Crèches parentales et autres Kindergarten, les voyages dans divers pays « révolutionnaires » ou tout simplement exotiques, c’est là que se fondèrent des revues (souvent éphémères), des projets d’édition, de cinéma. Bref tout un bouillonnement, culturel ou tout simplement quotidien  traduisant le besoin de rester ensemble, d’être ensemble.

    Il est des lieux où la pulsion de l’être ensemble était si forte et si mal maîtrisée qu’elle s’incarna dans des mouvements soit délinquants, soit terroristes. A Lyon un petit groupe, les « Dalton » paya de quelques années de prison ses parodies d’attaques révolutionnaires qui se terminèrent par une fusillade dans un square entre les membres et leur arrestation par la police alertée.

    En Italie, en Allemagne on se souvient de ces mouvements terroristes que furent les Brigades rouges et la Bande à Baader, fraction armée rouge.

    Partout les divers « mouvements sociaux », les rassemblements d’étrangers immigrés, d’homosexuels, de femmes luttant pour la liberté d’avortement, de féministes, le groupe intervention prison puis plus tard les divers mouvements rassemblant des malades mentaux internés etc. , peuvent être lus comme autant d’intentions de « rester ensemble », d’être ensemble.  Pour le meilleur comme pour le pire.

    Ce que l’on constate dans tous ces exemples, c’est que la démocratie représentative, le processus de rassemblement autour d’une élection ne réussit jamais à pacifier la fin de ces rassemblements.

    Il y avait un besoin en Allemagne de rassemblements, de communion émotionnelle que la république de Weimar, inaugurée quand même dans le massacre de Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht n’a pas su offrir. Les querelles partisanes entre socialistes et communistes ont clairement favorisé l’accès de Hitler au pouvoir.

    Si les accords de Matignon ont permis la fin des occupations d’usines du Front populaire, les accords de Grenelle de 68 avaient pour but de juguler avant qu’elle n’explose une révolte populaire dans les usines. Mais on ne peut pas dire que Mai 68 a été un mouvement revendicatif révolutionnaire. Il a plutôt inauguré, avec les mots du passé, de nouvelles manières de se rassembler, non plus autour d’un objectif lointain, d’une volonté d’améliorer la société future, mais dans des  objectifs quotidiens, ici et maintenant.

    On les presse de déboucher, de « sortir par le haut »

    Il est important de comprendre comment pourraient déboucher ces mouvements des Gilets Jaunes.

    Disons le tout de suite : n’en déplaise aux commentateurs et critiques : il n’y aura pas de débouché politique ; quelques-uns s’en serviront peut-être pour tenter d’améliorer leur situation par quelque mandat électif, mais le débouché politique n’est pas de nature à satisfaire la demande implicite d’action collective, de sentiment commun qui meut tous ces rassemblements.

    De fait, on se trompe en pensant qu’il peut y avoir une « conclusion nationale » à cette épidémie de mouvements locaux. La forme qu’a prise la diffusion des consignes par les réseaux sociaux a pu laisser croire qu’il s’agissait comme le disent les nostalgiques de la révolution d’une « convergence des luttes ». Il n’en est rien et aucun « Grand débat » ne saurait fédérer, harmoniser cette efflorescence de demandes souvent contradictoires.

    Sortir par le haut est donc voué à l’échec, tous les représentants nationaux seront désavoués.

    Une série de concessions faites aux revendications relatives au pouvoir d’achat saurait-elle mieux calmer l’agitation, une sorte « d’accords de l’Elysée » sur le modèle des accords de Matignon puis de Grenelle. Rien n’est moins sûr, tant cette revendication d’une augmentation du pouvoir d’achat  est rétive à toute analyse économique. Le modèle consommatoire de la société contemporaine, la course consumatoire à l’achat à crédit de tout, de la vie à crédit rendent illusoire un apaisement par la seule satisfaction de la demande d’accroissement du pouvoir d’achat. L’accumulation des crédits, l’étouffement par des dépenses promues par les divers moyens de la publicité, images, musiques et odeurs dans ces lieux d’énervement et de frustration que sont les grandes surfaces ont enclenché une espèce de course sans fin à toujours plus de consommation.  Chaque injection d’argent risque d’accroître la demande.

    Notre système social essoufflé génère toujours plus de pauvres, au sens substantif alors même qu’il tente d’en ralentir le nombre au sens adjectif. Toujours plus de Pauvres même s’ils ne sont pas des personnes pauvres. [2] Une catégorisation, une assignation à identité de pauvre et non pas une situation dont on pourrait sortir [3].

    Le pouvoir d’achat tient lieu d’équivalent universel pour tout malheur : l’isolement des personnes âgées et celle des mères seules ; la désertification des centres villes hors métropoles et la disparition des lieux de rassemblement que sont les bistrots, les boulangeries, les salles des fêtes dans nombre de villages et petites villes etc.

    Favoriser, faire émerger mille initiatives locales

    La frustration nait de la volonté de partage, d’entraide, de convivialité contrariée par la rationalisation de l’urbanisation et de l’aménagement du territoire. Ce n’est pas sa sublimation dans un grand débat abstrait qu’il faut viser, mais au contraire une effervescence créatrice de mille lieux et espaces de rencontre, de collaboration, d’expériences communes.

    Il ne faut sans doute pas maintenir à tout prix les services publics universels hérités de la glorieuse Troisième République, mais favoriser, détecter, étayer des initiatives adaptées à la diversité des besoins locaux et des diverses communautés.  Des écoles inventives, attentives à éduquer au vivre ensemble non par des leçons de morale, mais par des expériences de socialisation plurielles et créatives. Des mairies offrant non pas toujours plus de travail  bureaucratique, mais reprenant pour les citoyens les services collectifs de la Poste, de l’accès Internet, l’aide aux démarches administratives, l’aménagement entre citoyens de l’espace public. Non pas la multiplication des emplois dans les grandes surfaces, souvent pénibles, mal payés et aux horaires peu compatibles avec la vie de famille, mais la possibilité pour beaucoup d’inventer de nouvelles activités dans la petite agriculture locale, l’artisanat, le tourisme familial, la culture, le télétravail. Et ceci en mettant à disposition des territoires ruraux des connections de bonne qualité, des transports collectifs adaptés, des organisations de covoiturage, des services d’aides à la personne multiples, des lieux de coworking bien équipés etc.

    Si l’on doit espérer une sortie de mouvement sans épisodes pervers ou violents, il faut déboucher par le bas et non pas tarir l’espérance en la transformant en un objectif lointain et déconnecté des sentiments populaires.

    Ni stigmatiser un mouvement en le parant de divers qualificatifs globalisants, tels ceux de casseurs professionnels, d’incapables politiques, d’antisémites. Ni provoquer la montée des violences par toujours plus d’interdictions et de normalisation.

    Mais laisser s’inventer, au quotidien, des lieux qui feront lien [4].

     

    Hélène Strohl (Le Courrier des stratèges, 21 février 2019)

     

    Notes :

    [1] Otto Rühle, Von der burgerlischen zur proletarischen revolution.1924. Ouvrage réédité en « édition pirate » en 1968 et circulant dans les milieux de l’ultragauche anarchiste, conseilliste, situationniste.

    [2] Je prends cette distinction à Georges Duhamel, dans Le Jardin des bêtes sauvages, tome 2 de La Chronique des Pasquier, « Dans la pauvreté nous avons été bien souvent jusqu’à l’adjectif ; nous ne sommes jamais tombés au substantif. J’entends que si nous avons été presque toujours pauvres, en ce temps, nous n’avons heureusement jamais été des pauvres ». 1933 – 1944, Rééd. Omnibus, 1999

    [3] Cf. Hélène Strohl, L’État social ne fonctionne plus, Albin Michel, 2007

    [4] Cf. Michel Maffesoli, Être postmoderne, postface Hélène Strohl, Emmanuel Macron, icône ou fake de la postmodernité, éditions du Cerf, 2018

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  • Gilets jaunes : une insurrection dans l'impasse ?...

    Le 31 janvier 2019, Pierre Bergerot recevait, sur TV libertés, Michel Drac, pour évoquer la révolte des Gilets jaunes. Penseur non-conformiste, d'une honnêteté rigoureuse, Michel Drac est l'auteur de plusieurs essais, dont  Triangulation - Repères pour des temps incertains (Le Retour aux Sources, 2015) ou, dernièrement, Voir Macron - 8 scénarios pour un quinquennat (Le Retour aux Sources, 2018).  Il est également le fondateur des éditions le Retour aux Sources, qui publient notamment Piero San Giorgio , Dmitry Orlov ou Howard Kunstler.

     

                                

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